textes
de présentation des séries de photographies présentées sur ce site:
C’est la vie

C’est la vie est une série d’autoportraits « doubles » qui s’articule autour des notions
du couple, de l'identité et du stéréotype.
Au-delà d'une analyse psychanalytique de l'individu à l'Intérieur d'un
couple et d'une redéfinition (ou du moins une remise en question) de la
détermination morpho-anatomique du genre, mon travail interroge notre
capacité à répondre aux pressions de la société afin de reproduire un
comportement normalisé. Ainsi mon désir était d'Instaurer un entre deux
précaire entre le masculin et le féminin, de mettre à l’épreuve la forme
séxuée elle-même, mais aussi de me projeter dans les représentations stéréotypées
du couple véhiculées par les médias : sexe facile ou latent, position
du mâle dominant, attitude de la femme envers l’homme et utilisation de
l'image du corps comme artefact sexuel ; mes photographies reproduisent
les stéréotypes et les normes de la publicité et de la photographie de
mode. A cela s'ajoutent les dissonances qui détruisent et interrogent
le mécanisme commercial. Ainsi le décor de studio devient celui du quotidien,
le travestissement flétrit la beauté lisse du mannequin et la gestuelle
devient ambiguë, révélatrice d'une tension sous-jacente au sein du couple.
Il n'est donc ici pas question d'affirmer une quelconque identité ou de
se confirmer comme sujet. Bien au contraire, l'autoportrait me permet
d'appréhender le moi comme une construction imaginaire fondée à partir
d'une sorte d'identité collective relayée par les médias.
C’est
la vie is a series of ‘double’ self-portraits which conjure
up notions of the couple, identity and stereotypes. Beyond a psycho-analytical
study of the individual within the couple and a re-definition –
or at least a questioning – of the process of morpho-anatomical
determination of gender, my intent is to probe into our capacity to respond
to social pressures and produce a normalised behaviour.
My desire therefore consisted of wedging some precarious distance in between
the masculine and the feminine, putting to the test the gendered form
itself, but also to project myself in stereotypical representations of
the couple conveyed by the media.
Easy sex, latent sex, the pose of the dominating male, female attitudes
towards men, the use of the body as sexual artefact – my photographs
reproduce the stereotypes and norms of advertising and fashion photography.
DClashes which destroy and call into question commercial mechanisms. The
studio set thus turns into an everyday life scenario, cross-dressing spoils
the perfect beauty of the model, and body movement becomes ambiguous,
disclosing an underlying tension within the couple.
The interest here does not lie in asserting identity of whatever kind
or in confirming oneself as subject. On the contrary, self-portraits make
it possible for me to tackle the self as an imaginary construction based
on a sort of collective identity conveyed by the media.
Mélancolies

Mélancolies questionne la possibilité d'une résistance face aux
mythologies du corps qui façonnent dorénavant notre identité.
C'est à l'aide de manipulations numériques que ces autoportraits ont été
(re)composés. En substituant les traits de mon visage à ceux des mannequins
étalés dans les magazines, je (re)crée des personnages aux identités transitoires,
inscrits dans une réalité hésitante.
Ce passage à l'acte relève de la pulsion, de l'admiration épidermique
pour ces modèles aux visages parfaits, irrésistiblement occidentaux, façonnés
et modelés par les normes successives orchestrées par les médias En projetant
sur mon propre visage les indices de ces féminité et masculinité préfabriqués,
j’accomplis le fantasme de tout publicitaire et parachève ainsi l'infinie
puissance de la marque.
Cette série est composée de deux parties qui me permettent d’explorer
cette mécanique de différenciation sexuelle opérée par ces images standardisées.
Dans un premier temps, les lèvres et les yeux impeccablement maquillés,
les sourires complices (et autres expressions figées) révèlent l’image
d’une femme soumise et disponible, réifiée en icône séductrice. Enfin,
ce sont les géométries viriles des visages, les regards sombres et la
frontalité affirmée des corps qui définissent les mythes d’une masculinité
exacerbée et replacent l’homme dans son rôle patriarcal de protection.
Melancolies
questions the possibility of resistance against mythologies of the body
which build our identities today.
These self-portraits have been (re)created with the help of digital manipulation.
By substituting my features for those of top models in women’s magazines,
I (re)create figures with transient identities, inscribed in a hesitant
reality.
Taking such action is a product of pure instinct, of immediate, unthinking
admiration for those perfect faces, irresistibly western, fashioned and
modelled by successive norms orchestrated by the media. I project indications
of those prefabricated genders to on my own face, thus fulfilling the
fantasy of any advertising executive and finally completing the infinite
power of the brand.
This series is composed of two parts which permit me to explore the mechanics
of sexual differentiation operated by these standardised images. Firstly,
the impeccably made-up lips and eyes, accessory smiles (and other pre-set
expressions) reveal the image of a subdued and available woman, reified
into a seductive icon.
Secondly, there is the manly geometry of faces, the dark looks and the
affirmed head-on confrontation of bodies which define myths of an exaggerated
masculinity and put the man back in his patriarchal role of protector.
Mythologies

“Ce n’est pas le Minotaure qui crée le labyrinthe, c’est l’inverse” Michel
Foucault, Dits et écrits,1994.
Mythologies est une série d’autoportraits qui questionne l’asservissement
du corps à l’image et l’imperméabilité de l’individu face au bain médiatique
dans lequel il est plongé dès l’enfance. En plaquant mon visage sur les
beautés glacées des magazines féminins, je réalise l’impossible identification
au glamour préfabriqué par les médias. Ces images peuvent ainsi être perçues
comme le résidu d’un amour fusionnel entre le spectateur/consommateur
et ces/ses modèles. Il en résulte des créatures hybrides piégées dans
l’inexorable dissolution de l’identité en un rêve récurent, engluées dans
cette mythologie du corps avec laquelle chacun se construit.
Mon questionnement se porte également sur la notion de genre, sur les
normes qui définissent le masculin et le féminin. Le court-circuitage
opéré sur l’image brise le schéma d’un corps pour chacun, qui reste au
centre de la mécanique du désir que la femme, son corps et sa beauté doivent
susciter. Je me pare des attributs canoniques du féminin pour mieux en
stigmatiser l’artificialité. Il s’agit ici finalement d’une forme idéale
de travestissement qui atteint virtuellement la perfection dans la coïncidence
du corps initialement masculin et du corps féminin rêvé.
La
féminité se porte bien. Merci.

Dans ces autoportraits, en m'intégrant dans des publicités
prééxistantes, je réalise le phantasme de tout publicitaire;
à savoir que le spectateur se projette et s'identifie à
la publicité, au produit.
Pour cela, je m'intéresse aux ressources visuelles utilisées
par les publicitaires; position, attitude de la femme (notamment envers
l'homme), regard, sourire, utilisation qu'elle fait de ses mains, ou encore
dans lequel elle est située sont autant de signes que je réutilise.
Ainsi, je reproduis les stéréotypes, les codes, l'esthétique
de la publicité afin de dresser un constat plus qu'une satire de
la société de consommation. Constat qui se fait écho
de ces relations homme-femme véhiculées par les magazines
et de ce pseudo discours complice de femme à femme qui prétend
révéler une vraie nature, celle de la féminité.
Femininity
is alive and well, thank you.
In these self-portraits, integrating myself into pre existing advertisements,
I achieved the fantasy of all advertising directors; i.e. the spectator
projects and identifies himself with the ad and the product.
Indeed, I’m interested in the visual resources used by advertising
companies : the position, the attitude of the woman (notably towards the
man), looks, smiles, the use that she makes of her hands, the setting,
are some of the signs that I reuse.
So, I reproduce stereotypes, codes, the aesthetics of the advertising
in order to make a statement rather than a satire of consumer society.
This statement is achieved in gender relations present in magazines and
the accompanying “woman to woman” pseudo-discourse which claims
to reveal the true nature of femininity.
résumé
du mémoire de recherche intitulé "Féminin/masculin:
photographier la différence" (2005):
( fichiers
pdf )
Cette
recherche a été initiée par une pratique personnelle
de la photographie dans laquelle sont explorées les frontières
entre le masculin et le féminin.
La photographie est apparue comme un outil puissant pour questionner,
distordre, analyser les enjeux, ou proposer d’autres formulations
de la différence des sexes et ainsi dialoguer avec les différents
champs de réflexion des sciences humaines. Car penser cette différence
interroge les relations entre nature et culture, corps et esprit, ou encore
entre le particulier et l’universel. Ainsi, il s’agit d’un
parcours des différents lieux d’interrogation de la différence
des sexes dans lequel est mis en perspective la manière dont la
photographie et les sciences humaines peuvent se traverser et s’enrichir
mutuellement.
Tout d’abord, une approche sociologique de la photographie permet
de mettre en exergue grâce à la notion de genre, les normes
dans lesquelles sont intriqués le masculin et le féminin.
La parodie, l’ironie et le simulacre servent alors à développer
un discours politique (notamment envers les minorités sexuelles)
mais également à déceler les conséquences
d’une utilisation massive de ce médium par les médias
sur la construction de l’identité sexuelle. Les limites d’un
tel modèle qui sert finalement de «cache-sexe» en assimilant
cette identité à une catégorie sociale, nous permettent
d’envisager avec la psychanalyse une autre manière de subjectiver
le sexe.
Les mêmes outils sont alors utilisés pour mettre à
mal les archaïsmes d’une pensée qui cloisonne le féminin
et le masculin à l’intérieur d’un «ordre
sexuel» verrouillé par la théorie du phallus de Freud
et son dérivé lacanien?: le complexe d’OEdipe. La
photographie permet néanmoins de s’en dégager par
une tentative de représentation de la différence des sexes
opérée par le truchement de l’informe qui formalise
les fantasmes et des pulsions impliqués dans cette différenciation.
Une approche historique permet ensuite de relativiser toute conception
de la différence sexuelle en révélant le caractère
forcément subjectif de toute tentative d’appréhension.
Ce qui permet de proposer une autre subjectivité qui est celle
du post-humain dans laquelle la photographie, par la simulation et la
métaphore, devient une véritable force de proposition éthique,
sociale, et philosophique.
La photographie est ainsi prise dans les paradoxes d’une pensée
qui produit la différence des sexes et qui est en même temps
produite par cette différence. Elle agit comme le vecteur entre
une individualité faite de fantasmes et de pulsions protéiformes,
et un imaginaire social, culturel et symbolique, sans cesse à reformuler.
abstract: ( pdf files )
This
research reflects my personal technique, as a photographer, of exploring
the boundaries between masculine and feminine. Photography is a powerful
tool with which one can question, distort, and analyze what is at stake
because of such boundaries; the photographer can offer distinct ways of
expressing sexual difference through this medium, all the while creating
an intellectual dialogue throughout the liberal arts and social sciences.
Thinking about this difference entails a questioning of several relationships:
between nature and culture, the body and the mind, or the individual and
the universal.
Thus, my research is a review of the questions that can arise during an
attempt to analyze the differences between the sexes. In this study, the
manner in which photography and the social sciences can coincide and mutually
enrich one another is put into perspective.
First of all, by using a sociological approach to photography, thanks
to the concept of gender, one can underline the norms within which the
masculine and the feminine are interwined.
Parody, irony, and simulacra are thus used to develop a political discourse
(most notably about sexual minorities), but also to identify the consequences
of the widespread use of imagery by the media on the construction of sexual
identity. The limits of such a model, which serves more or less as "sexual
mask" by blurring sexual identity with social class, will allow us
to consider another way of thinking about sex with psychonalysis.
The same tools will then be used to denounce archaic notions which only
serve to partition the feminine and the masculine within a "sexual
order", an order which is under Freud's lock and key by the way of
his theory of the fallus and its lacanian descendent: The Oedipus Complex.
Then, an historical approach allows to relativize any thought of the sexual
difference by revealing the inevitably subjective character of any attempt
of apprehension. Thus it is possible to propose another subjectivity with
post-humanity where photography, using simulation and metaphor, becomes
a true force of ethical, social and philosophical proposal.
Photography is thus taken in paradoxes of a thought which produces the
difference between sexes and which is produced at the same time by this
difference. It acts like the vector between an individuality made with
phantasms and protean impulses, and a social, cultural and symbolic imaginary,
unceasingly to reformulate.
"l’auteur
est toujours quelque chose à confirmer"
Questions à Arnaud DELRUE, photographe
propos recueillis par Franck Senaud
(source: prefiguration.com )
Vous
parlez d'un "moi comme construction imaginaire fondée à
partir d'une sorte d'identité collective relayée par les
médias", vous semblez indiquer que l'identification individuelle
se fait par l'extérieur ? Par le groupe ?
L’identité est bien sûr multiple et complexe mais il
me semble qu’une construction identitaire autonome est utopique.
L’identification individuelle s’établit sans aucun
doute à partir de rapports complexes liés à l’environnement
familial et social.
Mais en même temps, et peut-être de manière plus transversale
et sournoise, les médias proposent arbitrairement des modèles
d’identification auxquels nous adhérons et à partir
desquels nous nous construisons. Ce sont les promoteurs d’un idéal
de beauté et de réussite sociale basée sur des valeurs
libérales et patriarcales.
Les personnages que je crée absorbent toutes ces normes et ces
stéréotypes puis les projètent dans leur quotidien.
Ce qui est troublant à mon sens est que l’on obtient des
images finalement banales qui renvoient à notre propre construction
identitaire, à l’inscription de ces comportements normalisés
dans notre vie sociale.
Ce qui transfigure peut-être cette banalité est cette ressemblance
troublante qui lie ces deux personnages flottants entre deux sexes, entre
deux identités.
L’identité sexuelle est pourtant présentée
comme une donnée biologique et anatomique immuable. La remise en
question de cette idée très freudienne, fût-elle partielle,
laisse apparaître le caractère d’artefacts de ces identités
et rappelle que les sexes sont d’abord des constructions sociales.
Il
y a quelque chose d'ironique dans votre travail et, lorsque vous dites
: "se confirmer comme sujet", vous semblez dire qu'un sujet
est toujours quelque chose à confirmer, est-ce de l'ironie ?
Je dirais plutôt que l’auteur est toujours quelque chose à
confirmer. Mon propos est en effet ironique mais est directement lié
à la notion d’auteur et plus particulièrement d’autoreprésentation.
On a souvent tendance à considérer (voire revendiquer) la
pratique de l’autoportrait (ou de l’autofiction) comme une
pratique narcissique qui permettrait à l’auteur de mener
une quête identitaire nombriliste. Dans mon travail, l’ironie
est peut-être présente vis-à-vis de cette sacralisation
de l’auteur et cette image d’artiste névrosé
plongé dans une quête permanente de l’œuvre ultime,
qui lui permettrait de s’accomplir en tant qu’individu.
Néanmoins, il ne s’agit pas de porter un jugement sur le
sujet, l’individu. Ma réflexion est plus globale. Je m’attache
plus aux mécanismes généraux de réalisation
de soi qu’à l’individu lui-même.
Vous
parlez d'images de soi que l'on construit en rapport avec des modèles,
matériellement vous partez de clichés simples que vous travailliez
sur logiciel: quelle part occupe ce travail postérieur ?
Ce travail occupe finalement une part réduite dans le processus
de création. Le montage numérique des photographies n’est
que la finalisation d’un long processus dont la partie la plus importante
est peut-être le travail préparatoire. Cette première
étape consiste essentiellement à une recherche iconographique
(photographie de mode, publicité, histoire de la peinture...) puis
à l’élaboration précise de croquis.
Les manipulations numériques que j’opère sont finalement
assez simples et ne nécessitent pas une grande virtuosité
technique comme dans certains travaux que l’on peut voir aujourd’hui.
Il s’agit en réalité d’un simple découpage/collage
que les avant-gardes du début du siècle auraient pu réaliser
avec des ciseaux et une colle.
Les seules difficultés rencontrées sont en fait subordonnées
à la qualité de la prise de vue (cadrage, éclairage,
ombres portées, agencement des personnages entre eux, ...), ce
qui constitue sans doute l’étape la plus contraignante et
paradoxalement au cours de laquelle je prends le moins de plaisir.
Vos
personnages sont comme clonés mais ils apparaissent toujours par
deux. Il s'agit de ce modèle du couple dont vous parlez, mais n'est
ce pas également que ce rapport identité - identification
fonctionnerait visuellement moins bien avec beaucoup de personnages ?
Avez-vous travaillé sur des pistes multiples?
Les recherches et les expérimentations se sont plus portées
vers les comportements des personnages, sur la tension que je pouvais
créer entre eux. A l’inverse, l’idée de couple
s’est tout de suite imposée à moi. Multiplier le nombre
de personnage aurait, d’une certaine façon, déplacé
l’outil numérique au centre de mon travail. Or je ne voulais
pas créer de situations grotesques à effets spéciaux
et placer ainsi mon discours dans le domaine de la science fiction ou
du fantasme. Mon désir était que le montage s’efface
devant l’image et que la crédibilité des personnages
(même incertaine) participe au trouble visuel créé
par ce dédoublement.
Certaines personnes me demandent parfois si j’ai un frère
jumeau ou mieux une sœur jumelle. Je ne pense pas que l’on
puisse me faire de meilleurs compliments...
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